L'invention du saxophone par le génial Adolphe Sax
Une époque propice aux inventions
Le XIXe siècle fut l'époque des inventions décisives dans de nombreux secteurs comme l'industrie, qui réalisa les audaces technologiques les plus spectaculaires, à l'exemple de la Tour Eiffel édifiée à l'occasion de l'Exposition universelle de 1889. Après le siècle des Lumières, le siècle du Progrès voit ainsi surgir des évolutions techniques considérables, notamment dans le domaine des instruments à vent.
Citons le piston de Blühmel et Stolzel en 1813, progressivement appliqué à tous les cuivres, mais aussi le nouveau mécanisme que Théobald Boehm adapta sur la flûte traversière en 1832. Un mécanisme repris sur la clarinette en 1839, dont Adolphe Sax s'inspirera pour la toute nouvelle famille des saxophones, puisque les doigtés qu'il élabore sont directement issus de ceux de la flûte traversière et de la clarinette.
Nouveau venu dans la famille des bois
En 1840, Adolphe Sax (né à Dinant en Belgique le 6 novembre 1814, mort à Paris le 7 février 1894) construit un instrument au registre grave qu'il dénomme « Saxophon » et qu'il projette de présenter en 1841 à la Commission de l'Exposition belge des produits de l'industrie à Bruxelles. En réalité, c'est le catalogue officiel de cette même exposition qui fait mention pour la première fois d'un saxophone basse, car malheureusement Adolphe Sax n'aura pas le temps de le terminer dans les délais impartis. Il semblerait toutefois que Sax ait fait entendre son instrument durant cette même exposition.
Plus tard, à l'occasion de l'Exposition des produits de l'industrie française qui se tient du 1er mai au 30 juin 1844, Sax organise à nouveau une présentation de son instrument. Il s'agit du saxophone basse en si bémol (existant aussi en ut), décrit comme le n° 2 des huit saxophones du brevet n° 3226 du 21 mars 1846.
Le nouveau saxophone d'Adolphe Sax dispose d'une perce à cône parabolique et d'un bec à anche simple qui vient s'adapter, en se rétrécissant, au corps de l'instrument. Il ne se contente pas d'inventer le saxophone ni de s'en tenir à un seul instrument. Il a toujours le souci de développer une famille, généralement de six à sept membres. Le but étant de couvrir la plus grande étendue de registres et de faciliter l'intégration des instruments au sein de l'orchestre. C'est tout d'abord la famille des saxhorns composée de six membres pour laquelle il dépose un brevet en 1843, puis celle des saxotrombas portée à sept membres dont le brevet est daté de 1845. Viennent ensuite, en 1846, la famille des saxophones comportant huit membres, puis, en 1849, la famille des saxtubas. Au total, Adolphe Sax déposera environ 46 brevets pour ses inventions.
Adolphe Sax à Paris
Dès l'automne 1842, Adolphe Sax s'installe à Paris, rue Neuve-Saint-Georges, dans un petit atelier qui comptera jusqu'à 191 ouvriers en 1848 et produira quelque 20000 instruments durant la période comprise entre 1843 et 1860. Il fait très rapidement la connaissance d'Hector Berlioz qui n'aura de cesse de le recommander, et de faire les louanges de ses nouvelles idées instrumentales.
Berlioz écrit dans le Journal des débats du 12 juin 1842, dont il était le critique musical, un article entièrement consacré à Adolphe Sax le présentant en ces termes :
« C'est un homme d'un esprit pénétrant, lucide, obstiné, d'une persévérance à toute épreuve, d'une grande adresse, à la fois calculateur, acousticien, et au besoin fondeur, tourneur et ciseleur. Il sait penser et agir ; il invente et il exécute ».
On peut se demander à juste titre pourquoi Adolphe Sax attendit si longtemps pour déposer son brevet français d'invention de sa nouvelle famille de saxophones. En réalité, il travailla bien avant à la conception de plusieurs familles de nouveaux instruments et de systèmes et adaptations diverses applicables au clairon, dont par exemple, le piston rotatif (barillet).
Cette famille de huit saxophones, initialement déterminée par Adolphe Sax, sera recentrée sur sept saxophones par Georges Kastner dans son « Manuel général de musique militaire à l'usage des armées françaises », paru en 1848. L'auteur précise ainsi, en bas de la planche XXV de son ouvrage, la nomenclature de la famille des saxophones :
« … Il en existe une famille entière : le Saxophone suraigu en fa ou en mi bémol, le saxophone soprano en ut ou si bémol, le Saxophone alto en mi bémol. Le Saxophone alto-ténor en si bémol. Le Saxophone ténor-baryton en mi bémol. Le Saxophone basse en ut ou si bémol, le saxophone contre-basse en fa ou mi bémol. »
Notons que le Sopranino en fa, bien que présent en théorie dans le brevet initial de Sax et initialement prévu par Ravel pour son Boléro, n'a jamais vu le jour. Sa partie est traditionnellement assurée par le Soprano en si♭. Les familles de saxophones accordés en ut ou en fa semblaient initialement plus adaptées à une utilisation dans l'orchestre symphonique. L'échec de cette intégration a conduit à l'abandon de ces modèles. Aujourd'hui, la famille des saxophones se compose toujours de sept membres et demeure très proche de celle que décrivait déjà Kastner :
- sopranino mi♭,
- soprano si♭,
- alto mi♭,
- ténor si♭,
- baryton mi♭,
- basse si♭,
- contrebasse mi♭.
Le saxophone au Conservatoire de Paris
Une classe de saxophone est créée au Conservatoire de Paris en 1857 et c'est tout naturellement Adolphe Sax qui en assume la responsabilité. Sax formera ainsi 130 saxophonistes environ, sur les différents instruments du quatuor. Il sera néanmoins dépité de voir que les compositeurs s'en tiennent essentiellement à l'exploration des timbres de son saxophone alto.
Qu'importe, cela ne l'empêche pas de poursuivre ses recherches et de déposer un second brevet sur le saxophone (n° 70894 du 19 mars 1866), dans lequel il précise :
" Un premier perfectionnement consiste dans l'allongement de l'instrument sans abaisser son registre, c'est-à-dire, en maintenant au même degré les notes déjà existantes. Cette disposition nouvelle me donne une plus grande étendue au grave et me permet d'augmenter les nombres des harmoniques de l'octave, et d'y joindre en même temps quelques harmoniques de douzième, c'est-à-dire, de donner au saxophone, sans rien lui ôter de ses propres richesses, et au besoin sans changer son doigté, une étendue de la clarinette et une partie des ressources particulières à cet instrument.
Un second perfectionnement consiste dans un changement apporté à la disposition du mécanisme du saxophone, particulièrement dans la partie manœuvrée par la main gauche. Cette modification, en rendant les doigtés plus réguliers et plus faciles, a pour principal résultat de simplifier l'exécution et de donner aux sons une plus grande qualité et une plus grande justesse…"
Les premiers saxophones d'Adolphe Sax sont fabriqués en cuivre. Leurs doigtés empruntent autant à la flûte qu'à la clarinette, toutes deux désormais pourvues du nouveau mécanisme de Théobald Boehm. Sax se penche également sur le mécanisme en privilégiant l'ergonomie et s'attache à favoriser la justesse. Adolphe Sax cherche à améliorer la perce de ses instruments : alors que la première perce du saxophone avait la forme d'un cône parabolique, il travaille sur d'autres types de perce, en cône droit, en cône concave. La perce de type parabolique prévaut encore aujourd'hui.
Améliorations notables après 1870
Le Conservatoire de Paris va malheureusement suspendre la classe de saxophone après la guerre de 1870. Toutefois, cela ne décourage pas Adolphe Sax qui n'a de cesse d'améliorer ses saxophones, puisqu'il déposera un troisième brevet d'invention le 27 novembre 1880.
Extraits du brevet du 27 novembre 1880 n° 139 884 :
« 1° Le saxophone alto en mi♭, le ton le plus favorable pour les musiques militaires, et le plus répandu, représentant la partie d'alto dans le quatuor se trouve trop court d'un ton pour atteindre au grave la limite extrême du membre de la famille du violon. J'ai allongé le tube de façon à lui faire gagner deux demi tons, soient si bémol et la, qui représentent quant au diapason ré♭ et ut. » « 2° étendant une opération analogue au registre haut, je pose deux nouvelles clés pour obtenir fa# et sol aigu, fa# pris par la main droite, sol par la main gauche. On pourrait du reste, si l'on préfère, employer d'autres combinaisons. »
Sax précise ainsi juste après :
« Pour faciliter l'émission des sons aigus, je pratique une quatrième clef octaviante avec ceci de particulier qu'elle n'est pas utilisée par le pouce, mais bien mise en jeu par les clefs des notes elles-mêmes. Cette même opération peut se faire pour toutes les clefs hautes. »
Les débuts du marché du saxophone
Quand Adolphe Sax décède le 7 février 1894, son fils Adolphe-Édouard (1859-1945), chef de fanfare à l'Opéra de Paris depuis 1888, prend sa suite à la tête de la manufacture Sax. Jusqu'alors le saxophone souffre d'un déficit de communication, puisqu'il est essentiellement cantonné à une utilisation au sein des musiques militaires et des harmonies. Au sortir de la Première guerre mondiale, les manufactures françaises d'instruments à vent ont perdu près des deux tiers de leur main-d'œuvre spécialisée. Les États-Unis, pénalisés par la pénurie d'instruments français durant cette période, ont été amenés à développer leur propre production.
En 1921, trente-six ans après sa création (1885), Henri SELMER Paris se lance dans la fabrication des saxophones. En adoptant le principe des cheminées étirées et non plus soudées sur le corps des instruments, SELMER révolutionne la facture du saxophone. Ce procédé déjà en vigueur aux États-Unis pour la flûte traversière autorise un gain de temps considérable pour la fabrication. L'instrument gagne aussi en fiabilité, en esthétique et en légèreté. L'entreprise se lance à la conquête du marché américain, tandis que la naissance du jazz et un nouvel art de vivre vont contribuer à l'engouement pour le saxophone.
En 1929, la Maison Henri SELMER Paris fait l'acquisition historique des ateliers Sax, devenant ainsi légataire universel de l'invention du saxophone et de l'esprit Sax.
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