Henri SELMER Paris : 135 ans d'histoire et de musique [2]
En juillet 1941, la famille fait face à la disparition d'Henri Selmer. Maurice Selmer devient Président. Il est rejoint à la même époque par ses fils Jean et Georges.
La même année, le saxophone n° 30 000 sort des ateliers, suivi des becs de clarinette Métal. Malgré la guerre qui a frappé et les effectifs tombés à 80 personnes à la sortie du conflit en 1945, la société continue à innover et lance les becs “Airflow” pour saxophones et clarinettes, ainsi que le modèle “Soloist” pour les clarinettes. Deux ans plus tard, la production remonte à 250 instruments par mois.
Marcel Mule, soliste de la Garde Républicaine, et premier professeur de saxophone de la classe du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, contribue grandement à faire reconnaître et rayonner le saxophone au niveau mondial. Il intègre la société en tant que conseiller artistique en 1948. La collaboration débute par la mise au point du bec “Métal Classique” qui fut pour beaucoup dans l'identité acoustique de Mule. Devant le succès rencontré par ce modèle, il fut décliné en ébonite et aboutit à la gamme “Soloist”, introduite en 1951. Après 27 ans d'interruption, les becs Soloist pour alto et ténor ont été remis en production.
Parallèlement, Ulysse Delescluse, professeur de clarinette au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, intègre la société en 1950 en tant que conseiller artistique. La production s'élève alors à 650 instruments par mois.
La 3e génération Selmer se met en place avec les fils de Maurice Selmer: Jacques, Jean et Georges. Ce dernier est nommé Président de la société en 1968.
Sixième modèle depuis le lancement du premier saxophone en 1922, le “Mark VI” est mis au point avec la participation de Marcel Mule. Instrument pensé à l'origine comme résolument classique, il s'est imposé comme légende et véritable référence du saxophone. Le Mark VI restera à jamais associé aux plus grands noms : Sonny Rollins, John Coltrane, Stan Getz, Dexter Gordon, Joe Henderson, Wayne Shorter, Johnny Hodges, Paul Desmond…
La même année, la clarinette “Centered Tone” apparaît au catalogue. Elle est rapidement adoptée par les plus grands clarinettistes et deviendra la clarinette fétiche du roi du swing, Benjamin David, dit Benny Goodman. On lui doit également des commandes et des créations importantes du répertoire classique, notamment les Contrastes de Bartok, le Concerto pour clarinette de Copland et les préludes, fugue et riffs de Bernstein.
Le catalogue de 1955 a pour accroche « Un nom, une qualité, des artistes ». Henri SELMER Paris met en avant ses essayeurs et revendique ses liens privilégiés avec les meilleurs musiciens. À cette époque, de nouveaux ateliers sont construits pour permettre la production de 1 000 instruments, fabriqués chaque mois par 370 employés. Le 28 juin 1962 sortira de ces usines le saxophone n° 100 000.
Un peu plus tard, le 9 décembre 1964, John Coltrane enregistre A Love Supreme avec ses Ténor et Soprano Mark VI et son bec métal soprano.
Au même moment sort l'album Getz/Gilberto, enregistré par Stan Getz avec son saxophone Mark VI, le chanteur guitariste João Gilberto, et le pianiste et compositeur Antônio Carlos Jobim. Cet album connaît un succès international avec les morceaux The Girl from Ipanema et Corcovado, chantés par Astrud Gilberto et devenus des standards du jazz.
Eric Dolphy fut l'un des pionniers en tant que soliste de jazz à la clarinette basse, sur une basse Henri SELMER Paris. Il reste aujourd'hui l'une des figures emblématiques de cet instrument, dont la pratique s'est depuis largement répandue. Durant quelques années il jouera avec le “Varitone” : un système de cellule microphonique destinée à l'amplification, directement intégrée sur le saxophone, la clarinette ou la flûte. Le Varitone est précurseur de l'électrification des instruments et de l'utilisation des effets sonores qui s'étendront quelques années plus tard. Michael Brecker, dans le groupe qu'il forma dans les années 1970 avec son frère, les Brecker Brothers, en fut une figure de proue.
En 1965 le siège de l'entreprise quitte Montmartre pour s'installer au 18, rue de la Fontaine au Roi, au cœur du 11e arrondissement de Paris, et gagne ainsi en confort d'accueil et en espace. En 2003, le siège social fait peau neuve et ouvre un showroom spacieux, qui accueille chaque année 3 000 musiciens du monde entier.
En 1971 sort le modèle “Série 10”, clarinette souple et polyvalente, qui comprend le jeu de clarinettes en Sib et La, ainsi qu'un nouveau bec du même nom.
La famille des becs “S80” apparaît en 1974. L'une de ses principales innovations est sa fameuse chambre carrée, réalisée pour la première fois entièrement par une mortaiseuse, permettant sa parfaite reproductibilité. Le plus connu de la famille S80 est sans conteste le “C*”. Au point d'être devenu à l'usage un modèle à lui tout seul ! C'est encore le bec le plus vendu au monde, et ce, depuis des décennies.
Après 20 ans de production, le Mark VI cède la place au “Mark VII”, facilement reconnaissable à son clétage large et solide.
Les becs de clarinettes profitent également des évolutions de la fabrication avec l'arrivée du modèle “C85”.
Quatre ans plus tard, c'est la naissance du modèle “Recital”. Une clarinette unique au monde de par sa conception très « boisée », encore disponible aujourd'hui. La Recital fut mise au point en collaboration avec Guy Dangain, alors soliste à l'Orchestre National de France et conseiller artistique de la société depuis 1970.
Les années 80 glorifient le saxophone. Il est présent absolument partout, dans la musique comme dans la publicité. Il incarne cette décennie et en devient le symbole. On revient en 1980 à l'esprit de conception du Mark VI avec le “Super Action 80”, qui deviendra en 1986 le “Super Action 80 Série II”. Ce modèle est le saxophone polyvalent par excellence. Il a fêté ses 30 ans en 2016, ce qui fait du Super Action 80 Série II le modèle le plus fabriqué.
À la même période sort le bec “S90”, qui trouvera parfaitement sa place auprès du S80, bec un peu plus timbré et qui offre plus de projection.
Le service Recherche et Développement accueille trois nouveaux conseillers artistiques, deux pour le saxophone et un pour la clarinette. Claude Delangle en 1989, récemment nommé professeur de saxophone au CNSM de Paris et en 1990 Patrick Bourgoin, saxophoniste de variétés free-lance. Tous deux ont collaboré avec Jérôme Selmer au sein de la Recherche et du Développement. En clarinette, Jacques Di Donato, alors professeur au CNSM de Lyon, rejoint également l'équipe R&D en 1990. Celle-ci mettra au point la famille des saxophones “Série III”, qui verra le jour en 1993 avec l'arrivée du Soprano. Pour la première fois dans l'histoire de l'entreprise, le nouveau modèle ne remplace pas l'ancien, mais vient compléter la gamme. Suivront le Ténor en 1997 et l'Alto avec son système breveté de double Do#, et le Baryton en 2008. Les quatre modèles Série III du quatuor verront le jour sur une période de 15 ans.
C'est également en 1993 que l'entreprise célèbre la fabrication de son 500 000e saxophone : un alto Super Action 80 Série II.
Côté clarinette, l'italien Alessandro Carbonare, soliste et successeur de Guy Dangain à l'ONF jusqu'en 2003, devient officiellement ambassadeur de la marque SELMER Paris dans le monde.
En 1998 la 4e génération issue du fondateur, incarnée par Patrick, Brigitte et Jérôme Selmer, prend les rênes de la société. Le site de production s'agrandit et s'étend alors sur 20 000 m2.
Sous cette nouvelle ère naîtra la clarinette “Signature”, mise au point avec Jacques Di Donato. Un concept audacieux à la palette de sonorités très riche, contrepartie d'une exigence d'engagement physique du musicien. Cette génération, parfaitement en phase avec son histoire, sort aussi en 2001 deux modèles de saxophone Ténor, puis un d'Alto en 2003, qui rendent hommage aux mythiques modèles Mark VI et Balanced Action : les “Reference”. C'est un modèle qui réussit la délicate alchimie de la fusion du progrès et de la tradition, et qui s'adresse davantage aux saxophonistes de jazz. La clarinette basse “Privilege” sort en 2004 et représente un véritable événement pour les clarinettistes basses, qui y voient un progrès majeur pour leur instrument notamment en termes de mécanique.
En 2005 Henri SELMER Paris fête ses 120 ans dans la plus mythique des salles de concert de Paris : l'Olympia. C'est l'occasion d'une rencontre unique sur scène entre les géants Kenny Garrett et Johnny Griffin.
Dans la lignée de la clarinette basse, la famille Privilege s'étend au jeu Sib et La, développé avec l'aide du clarinettiste Jérôme Verhaeghe, soliste de l'Opéra de Paris. Il est rejoint deux ans plus tard par Philippe Berrod pour affiner ces modèles qui connaîtront un immense succès grâce à leur homogénéité, leur souplesse et stabilité de jeu, et bien sûr à leur qualité de son. Philippe Berrod, soliste de l'Orchestre de Paris, devient officiellement conseiller artistique de la marque et sera nommé professeur au CNSM de Paris en 2012. Henri SELMER Paris réaffirme son identité de fabricant de clarinettes haut de gamme et nombre de grands musiciens redécouvrent ainsi la clarinette SELMER Paris.
Brigitte Selmer devient directrice générale de l'entreprise. À l'occasion du Festival de Jazz de Marciac en 2012, elle remet à Sonny Rollins un saxophone Ténor gravé à son nom : “Sonny Tenor Colossus”, un cadeau pour la fidélité qu'il a toujours témoignée à la marque au cours de son immense carrière.
2013 marque une nouvelle dynamique insufflée par la famille des becs, avec les sorties du “Concept” pour le saxophone Alto, qui connaît immédiatement un immense succès, et les modèles “Concept” et “Focus” pour la clarinette basse, qui connaissent un succès similaire. Cet élan se prolonge en 2014 avec la clarinette Sib “Présence”, le bec de saxophone alto “Prologue” et enfin le saxophone alto “Axos”.
En 2015, Henri SELMER Paris fête ses 130 ans d'existence, mais l'histoire est loin d'être finie…