La grande histoire de la clarinette
Le siècle des lumières et de la créativité
Le début du siècle des Lumières est parcouru d'un souffle de créativité musicale sans précédent : l'Europe tout entière est au diapason des inventeurs qui n'ont de cesse d'élargir l'ambitus des instruments (étendue d'une voix, d'une mélodie ou d'un instrument, de la note la plus grave à la plus élevée), de rationaliser les doigtés et de rendre plus sûre la production de leurs sonorités.
Si l'on se tourne vers l'Italie, c'est tout d'abord Bartolomeo Cristofori, en 1700, qui crée le premier pianoforte, instrument très proche du clavecin dans ses formes, mais qui autorise désormais la restitution des nuances piano et forte, grâce à sa mécanique pourvue de petits marteaux.
Si l'on se tourne vers la France, c'est la dynastie des Hotteterre implantée à La Couture-Boussey dans l'Eure, dont Jacques, dit le Romain, est le plus illustre représentant, qui va contribuer à la renommée des bois.
Enfin si l'on se tourne vers l'Allemagne, c'est Johann Christoph Denner (Leipzig 1655-Nuremberg 1707) qui sera l'inventeur de la clarinette dans les toutes premières années du XVIIIe siècle, après dix années de recherches. Denner aura ainsi l'idée de développer l'ancien chalumeau, déjà pourvu de deux clés (la et Sib) et d'une anche simple fixée sur le bec à l'aide d'un petit cordon, en prolongeant le tuyau par un pavillon et surtout en déplaçant vers le haut la clé de Sib qui deviendra désormais la clé de douzième : c'est la naissance de la clarinette.
Le chalumeau français aux origines médiévales devient clarinette
Des textes français du XIIe siècle contribuent à apporter des éléments d'appellation de plus en plus précis, à l'exemple de Chrétien de Troyes (135 – 1183) dans la noce d'érec et énide, qui évoque le chalemel.
Progressivement, l'appellation chalumeau va se confirmer. Vers la fin du XVIIe siècle, le chalumeau français comporte 8 trous et se constitue d'un corps en buis et d'une anche battante en roseau. L'échelle des sons est alors très réduite, son étendue n'excédant pas la dixième, la production d'harmoniques restant par ailleurs impossible. C'est pourtant ce même chalumeau qui exercera une forte influence en Allemagne sur Johann Christoph Denner dont le grand génie est d'avoir su le faire évoluer en clarinette désormais pourvue d'un pavillon et d'une clé de douzième.
Jacob Denner, Beer et Barthold optimisent les sonorités
Denner eut également l'idée de pourvoir le trou de sib d'un petit tuyau de cuivre pour éviter l'accumulation d'eau à l'intérieur de l'instrument. Pour autant, même si la clarinette chantait sur une étendue de près de trois octaves, elle ne descendait pas en dessous du fa, ce qui rendait impossible la production du si naturel, une douzième plus haut. Cette lacune fut corrigée par le fils aîné de Denner, Jacob, qui allongea l'instrument pour atteindre le mi grave, le dotant ainsi d'une nouvelle clé, actionnée par le pouce droit. De son côté, Joseph Beer (1744-1812) se livra à l'étude de la clarinette dès l'âge de 14 ans et entra au service du Duc d'Orléans vers 1767, pour qui il remplira les fonctions de chef de musique des gardes du corps durant une vingtaine d'années.
François-Joseph Fétis, musicologue du XIXe siècle précise ainsi, dans sa Biographie universelle des musiciens publiée en 1837 à Bruxelles, que l'on doit à Beer l'apport de la cinquième clé, même si d'autres sources rapportent également le nom de Fritz Barthold pour la création de ces deux clés supplémentaires, permettant d'obtenir les fa# et sol# graves ainsi que leurs douzièmes do# et ré#.
Beer aura une très grande influence en France et transmettra son art à Michel Yost, chef de file de l'école française de clarinette (1754-1786).
Les premières apparitions de la clarinette
Conquis par les sonorités de la nouvelle clarinette, les compositeurs du début du XVIIIe siècle sont unanimes à lui rendre hommage. C'est tout d'abord Vivaldi qui lui fait une place d'honneur dans son opéra Juditha triumphans en 1716 et qui aura également beaucoup de plaisir à combiner les sonorités de deux clarinettes et de deux hautbois dans ses Concertos grosso R.V 559 et R.V 560. Sans oublier de mentionner Antonio Caldara en 1718, Telemann dès 1719 et Jean Adam Joseph Faber, maître de chapelle de la cathédrale d'Anvers, qui écrira sa Messe pour l'Assomption en 1720. En France Jean-Philippe Rameau sera le premier à renforcer l'orchestre des nouvelles sonorités de la clarinette dans son opéra Zoroastre en 1749 et aussi dans Acante et Céphise en 1751.
De son côté, Mozart fait entendre pour la première fois la clarinette dans son Divertimento K 113 en 1771, et bien sûr dans son célèbre Concerto pour clarinette K 622 (1791) ainsi que dans le Quintette pour clarinette et cordes K 581 (1789), deux oeuvres majeures dont Anton Stadler, célèbre clarinettiste, sera le dédicataire. Pour autant, le jeu de la clarinette reste encore très délicat, mobilisant ainsi de nombreux facteurs dans une recherche visant à rendre plus rationnels et surtout plus ergonomiques les doigtés de cet instrument.
Enfin, une sixième clé sera rajoutée à la clarinette vers 1791 par Jean Xavier Lefèvre, permettant d'obtenir au petit doigt de la main gauche le sol# du clairon et surtout le do# du chalumeau.
Müller invente en 1812 la clarinette omnitonique à 13 clés
La clarinette omnitonique à 13 clés que va soumettre Iwan Müller à l'appréciation de la commission du conservatoire de Paris en 1812 est clairement en avance sur son temps. L'idée de favoriser le jeu dans toutes les tonalités est du reste partagée par d'autres facteurs, à l'exemple de Jean-Baptiste Dupont et de Jean-Claude Labbaye qui proposent respectivement en 1815 et en 1820 des cors omnitoniques de leur conception.
Malheureusement, Iwan Müller va se heurter à une rare étroitesse d'esprit de la part des membres de cette commission, Lefèvre en tête (qui pourtant adoptera la clarinette de Müller par la suite…), qui n'auront de cesse de rejeter son instrument. Une attitude des plus douteuses qui n'est pas sans rappeler le sort identique qui sera fait au nouveau mécanisme de la flûte de Théobald Boehm, en 1832.
L'instrument de Müller est révolutionnaire en adoptant notamment une toute nouvelle mécanique avec des trous encastrés de forme biseautée, Müller fixant désormais l'anche à l'aide d'une ligature en métal, plus pratique. En réalité la nouvelle clarinette de Müller va susciter un grand enthousiasme auprès des clarinettistes qui disposent désormais d'un instrument beaucoup plus performant.
Frédéric Berr, professeur au conservatoire de Paris va compter au nombre des partisans de cette nouvelle clarinette et surtout former son illustre disciple en la personne de Hyacinthe Klosé qui eut lui-même pour élèves Henri et Alexandre Selmer.
1839 : le mécanisme de la flûte de Boehm est adapté sur la clarinette
Hyacinthe Klosé, malgré tout, n'est pas encore totalement satisfait de la clarinette de Müller et s'interroge sur les bénéfices que pourrait offrir le nouveau mécanisme à anneaux que Théobald Boehm vient d'inventer sur la flûte traversière en 1832. En effet, la nouvelle flûte de Boehm se caractérise par une implantation des trous répondant désormais aux lois de l'acoustique. Le mécanisme intégrant des supports vissés, se compose d'un système de tringlerie avec axes longitudinaux, correspondances des clés annulaires et des clés à plateaux, autorisant ainsi une virtuosité jusqu'alors jamais atteinte.
Hyacinthe Klosé va ainsi persuader Louis-Auguste Buffet de doter la clarinette du nouveau mécanisme à anneaux de Boehm en 1839 : la clarinette moderne vient de naître. 1843 sera l'année officielle du dépôt de brevet par Buffet de cette nouvelle clarinette sous l'appellation clarinette à anneaux mobiles, mais aussi l'année de parution de la célèbre méthode de clarinette de Klosé qui prend en compte la nouvelle configuration de clétage bilatéral de la clarinette système Boehm. Précisons que l'on doit à Klosé d'avoir généralisé l'adjonction du support du pouce droit, l'ébène étant légèrement plus lourd que l'ancien buis dont on faisait les clarinettes.
La clarinette Müller fait toujours des émules
Pour autant les amateurs de la clarinette Müller sont encore nombreux, qui cherchent toujours à améliorer leur instrument. On citera notamment le français Simiot, implanté à Lyon, qui fabriquera en 1828 une clarinette à 19 clés, mais aussi les successeurs de Lefèvre en 1845 qui ajoutent à la clarinette à 13 clés deux anneaux mobiles, Gyssens en 1852 qui conserve les doigtés de Müller en combinant les avantages de justesse du système Boehm.
Il faut également évoquer le système allemand Oehler, très inspiré de la clarinette de Müller mais au mécanisme très complexe, ainsi que les frères Albert de Bruxelles qui tireront profit de la clarinette Müller, au travers d'une perce un peu plus large. Enfin, il convient de préciser qu'il existera aussi une clarinette à 15 clés et 2 anneaux, plus connue sous le nom de demi-Boehm qui combine les avantages respectifs de la clarinette Müller et de la clarinette système Boehm. Par ailleurs, un grand nombre d'inventions concernant la clarinette (souvent d'un intérêt très inégal) verront le jour dans la deuxième partie du XIXe siècle, parmi lesquelles il faut citer les plus significatives : le si bémol fourche (amélioration du doigté du sib 4) et le sol# articulé à coupe déportée.
La clarinette système Albert est très en vogue au début du XXe siècle
La passion qu'éprouvait Henri Selmer pour la clarinette l'incita à s'intéresser aux anches et leur fabrication, si déterminantes dans la production sonore. Le succès sera immédiat avec la médaille d'argent remportée à l'Exposition de Montpellier en 1896, alors que la société Henri Selmer venait à peine de voir le jour en 1885. Dès lors, ce sera le coup d'envoi, pour cette jeune société, de la mise en fabrication de clarinettes, flûtes, hautbois, bassons et saxophones sous le nom de Henri Selmer. Ses toutes premières clarinettes obtiennent une médaille d'or à l'exposition universelle de Saint-Louis (1904).
Toutefois, les clarinettistes se montrent encore très attachés à la clarinette allemande Müller à 13 clés, tandis que la clarinette à système Albert représente, au début du XXe siècle, la configuration la plus aboutie d'inspiration Müller. Tout sera mis en oeuvre pour séduire et conquérir les clarinettistes : clarinettes système Boehm, configuration de mécanismes à plateaux pour convaincre les saxophonistes, clé de sol# articulée à coupe déportée et nombreux autres brevets Henri Selmer. Jusqu'au modèle à 20 clés, véritable composite de système Boehm et Albert. Tous ces instruments seront proposés en ébène, en grenadille et même en ébonite, une matière abandonnée dès le nouveau catalogue de 1935.
Centered Tone, la clarinette fétiche de Benny Goodman
Le catalogue Selmer de 1935 marque un grand changement dans l'histoire de la clarinette qui adopte désormais le mécanisme Boehm à anneaux. Bien sûr, les modèles 12 et 18 à système Albert sont encore proposés, mais il faut bien reconnaître que la clarinette en sib système Boehm s'est désormais imposée comme le standard international. Autre signe des temps, les clarinettes métal swinguent désormais dans ce même catalogue : il existe ainsi une petite clarinette en mib en métal, la première du genre dans les catalogues Selmer. Une fabrication perçue comme extrêmement soignée et élaborée et qui rend nostalgiques, aujourd'hui encore, bon nombre de clarinettistes.
Dès lors, la société Henri Selmer va créer les mythiques clarinettes Radio Improved et Balanced Tone qui vont conquérir les états-Unis durant la décennie 1930-1940. La grande révolution aura lieu avec la légendaire Centered Tone, clarinette fétiche de Benny Goodman. La Centered Tone, véritable légende, fera ainsi sa première apparition dans le catalogue de 1954, immédiatement relayée en 1961 par les clarinettes Série 9 et Série 9* (Série 9 pour le jazz et Série 9* pour l'orchestre symphonique).
Henri SELMER Paris au cœur de la recherche
Dès 1968, la Série 10 va pérenniser les Séries 9 et 9*, tandis que la clarinette Selmer système Marchi, apparue au catalogue Selmer en août 1975, représente l'une des contributions majeures du XXe siècle, en termes de facture instrumentale et d'ouverture de répertoire.
Joseph Marchi, en effet, va conduire des recherches durant près de vingt ans qui aboutiront notamment à l'implantation d'une clé de 17e facilitant la justesse et l'émission sonore dans le registre aigu et suraigu, élargissant désormais d'une octave l'ambitus de la clarinette système Boehm en sib, la prédestinant ainsi au répertoire contemporain. Précisons toutefois que Houvenaghel, en 1948, cherchera également dans la perspective de favoriser l'émission des 17e à travers le système de clarinette double-Boehm qui ne vivra, pourtant, qu'un succès d'estime.
Le ballet des clarinettes Selmer se poursuivra par l'entrée en scène de la 10 S en août 1977, de la mythique Récital en octobre 1984, de la Prologue en mars 1992, de la 10 S II en mars 1994, et de la Signature en mars 1997. La clarinette Privilège, présentée en 2004, établi un nouveau standard sur le segment haut de gamme, tandis que la clarinette Présence séduit pour sa simplicité et son excellente homogénéité des registres.
En 2019, Henri SELMER Paris présente le système EVOLUTION disponible sur l'ensemble de la gamme de clarinettes professionnelles Sib et La. Cette innovation, basée sur un procédé de chemisage intérieur avec une résine nouvelle génération, apporte une meilleure stabilité et longévité à l'instrument, tout en préservant les qualités acoustiques d'une clarinette traditionnelle en bois.
“Sans se lasser, faire toujours mieux” était la devise affichée par Henri SELMER. Depuis sa première clarinette médaille d'or à l'exposition universelle de Saint-Louis (USA), le fondateur à marqué de son empreinte une culture de recherche permanente au service du musicien. Henri SELMER Paris intègre cette démarche au quotidien au sein de ses ateliers, à la recherche de la perfection pour ses instruments, d'un point de vue acoustique, ergonomique et esthétique.
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